Évaluer l'impact des énergies renouvelables à grande échelle sur les animaux sauvages - Partie 1. La méthode scientifique

Entretien avec Lida Rammou par Margot Verdier
Juin 2025
Lida Rammou est chercheuse postdoctorale au département de biologie de l'université Aristote de Thessalonique. Elle étudie le Souslik européen, une espèce d'écureuil qui construit des terriers soutterains. Ses recherches actuelles, financées par la WWF Hellas, se concentrent sur les montagnes de Vermio, en Macédoine occidentale, qui abritent la seule population montagnarde de sousliks et sont visées par plusieurs projets de parcs éoliens à grande échelle. Dans la première partie de cet entretien, elle évoque l’absence de méthodologie scientifique dans les études d’impact nécessaires à l’obtention des permis environnementaux autorisant la construction de nouvelles infrastructures.

1. Comment vous êtes-vous engagée dans les luttes contre les parcs éoliens de grande échelle ?

Je me suis impliquée lorsque l’étude d’impact environnemental (EIE) de l’entreprise qui voulait installer des parcs éoliens dans les montagnes du Vermio a été publiée. L’EIE a fait l’objet d’une consultation ouverte afin que les citoyens et les ONG puissent la commenter. Des collègues m’ont demandé de rédiger un rapport sur le Souslik (Spermophilus citellus), car ils avaient constaté que l’EIE avait enregistré la présence de cette espèce dans la région. Je n’ai fait qu’une étude bibliographique, car jusqu’ici je n’avais travaillé sur aucune étude ou expérience lié à l’impact des parcs éoliens sur la faune.

L’étude de l’entreprise mentionnait de nombreuses espèces protégées telles que les oiseaux, les loups, les ours, etc. Lorsque le processus de consultation publique a commencé, chaque scientifique participant a écrit des commentaires sur le sujet qu’il connaissait le mieux. Moi, par exemple, je n’ai traité que du Souslik. Callisto1 a écrit sur l’ours, un autre chercheur sur les oiseaux, et la Société Zoologique Hellénique2 a donné son avis. De nombreux scientifiques de différentes institutions ont participé individuellement, chacun contribuant en fonction de ce sur quoi il avait une expertise.

2. Quelle est votre principale critique de l’étude réalisée par l’entreprise d’énergie éolienne ?

Mon principal commentaire porte sur l’adéquation et la fiabilité scientifiques de l’EIE soumise par l’entreprise. Malgré l’existence d’une littérature scientifique abondante et récente – tant au niveau européen que national – l’étude n’utilise aucune des sources disponibles. L’absence de cette littérature donne l’impression que l’on évite les données scientifiques qui pourraient ne pas être cohérentes avec les conclusions envisagées par l’entreprise.

En outre, l’EIE utilise de nombreuses citations d’études scientifiques, mais elle les extrait du contexte dans lequel elles ont été prononcées à l’origine. L’utilisation fragmentaire et instrumentale des connaissances scientifiques, sans rigueur méthodologique, conduit à des conclusions trompeuses ou non scientifiques.

Par exemple, les scientifiques qui ont rédigé l’EIE affirment que le projet n’a pas d’impact sur les Sousliks parce qu’ils ont trouvé un nid à proximité du conteneur dans lequel ils travaillent. Une telle conclusion, dépourvue de données statistiques, d’observations comparatives ou même de documentation, ne peut être considérée comme scientifiquement valable. Je dirais qu’il s’agit plus d’une impression personnelle que d’une constatation concrète.

La question de notre impact sur la biodiversité et les écosystèmes est vraiment sérieuse et nous devons fournir des études avec une méthodologie claire et des preuves qui peuvent être vérifiées. La préparation d’une EIE, en particulier pour les infrastructures à grande échelle telles que les parcs éoliens, devrait répondre à des normes minimales d’éthique scientifique. Malheureusement, l’étude dont on parle aujourd’hui est loin de répondre à ces exigences.

3. Pour que la différence entre les méthodologies soit plus claire, pouvez-vous me dire ce que ferait une chercheuse respectant les bonnes pratiques scientifiques ?

Alors, j’enregistrerais les terriers et les individus de l’espèce dans l’ensemble de la zone avant, pendant et après les opérations. Cela me permettrait de savoir si les populations se sont déplacées, ont décliné, ont quitté la zone ou s’il y a eu de la mortalité. Je pourrais également utiliser des colliers émetteurs pour suivre les déplacements quotidiens et saisonniers des animaux dans la zone. En plus, j’évaluerais le stress des animaux pour comprendre la pression qu’ils subissent en raison des interventions humaines. Pour cette évaluation, il est nécessaire d’observer les changements de comportement des animaux avant et après l’intervention. Je pourrais également prélever des échantillons de selles pour analyser les hormones produites, qui sont souvent des indicateurs de stress.

Il existe donc toute une série de méthodes, dont aucune n’est basée sur des observations simples ou subjectives, mais plutôt sur des procédures scientifiques solides. La recherche scientifique exige des normes strictes. Une étude ne peut être considérée comme valide si une revue approfondie de la littérature relative au sujet n’a pas été effectuée, si les données collectées sont insuffisantes ou ne couvrent pas entièrement le champ de la recherche, et si la méthodologie utilisée par le chercheur n’est pas expliquée et justifiée. Les études telles que l’EIE servent souvent en premier lieu à répondre aux exigences administratives liées à la délivrance de permis environnementaux de la manière la plus simple et la plus rapide possible. Cependant, ces études ne répondent souvent pas aux normes requises pour être considérées comme équivalentes à une étude scientifique.

4. Vous avez donc réalisé une contre-étude. Que s’est-il passé après l’avoir rendue publique ?

Il ne s’est rien passé. La consultation publique est un processus formel qui n’est pas nécessairement pris en compte. Je ne sais même pas si les organismes publics qui évaluent ces projets en prennent connaissance. Par exemple, l’Agence pour l’environnement naturel et le changement climatique (NECCA), qui s’occupe des zones Natura 2000, m’a demandé de lui envoyer mon rapport. Nous avions déjà travaillé ensemble et ils me connaissaient, sinon je ne sais pas s’ils auraient obtenu l’information.

J’ai l’impression qu’il n’y a aucune volonté d’écouter la communauté scientifique. Par exemple, une scientifique de l’université de Ioannina a réalisé une étude approfondie. Elle a analysé toutes les zones de Grèce où des parcs éoliens pourraient être installés avec un impact minimal sur l’environnement – en évitant les zones sensibles, comme les parcs nationaux – tout en apportant une contribution substantielle à la stratégie énergétique du pays. Cette recherche, financée par des fonds publics et qui a donné lieu à deux études publiées, est un modèle de travail scientifique. Elle devrait constituer une référence pour l’élaboration des politiques. Pourtant, malgré sa qualité et son utilité, il n’y a pas eu de véritable réaction de la part des institutions qui l’ont soutenue.

Personnellement, je trouve cela extrêmement décevant, presque tragique. Lorsque les connaissances sont disponibles mais ne sont pas utilisées, on perd l’occasion d’une planification significative qui pourrait combiner la protection de l’environnement et le progrès énergétique.

1 Callisto est une organisation non gouvernementale (ONG) spécialisée dans la protection des grands carnivores tels que les loups, les ours et les lynx. https://callisto.gr/?lang=en

2 La Société zoologique hellénique étudie la répartition géographique et l’écologie des animaux sauvages en Grèce, afin de promouvoir leur protection. https://www.hzoos.gr/en