1. Pouvez-vous expliquer en quelques mots en quoi consiste votre travail ?
Mes travaux portent sur les réseaux de distribution d’électricité, en particulier sur leur fonctionnement et leur protection. Toutefois, ces recherches m’ont amené à m’intéresser à des questions plus spécifiques, telles que la demande d’un système électrique, c’est-à-dire les consommateurs.
Je travaille donc également sur ce que l’on appelle la gestion de la demande, qui consiste à analyser le comportement des consommateurs et à essayer de le modifier pour que les réseaux fonctionnent de manière plus efficace. Prenons l’exemple des consommateurs qui, traditionnellement, ne savent rien de l’état du réseau. Ils se contentent d’utiliser des appareils électriques et s’attendent à ce que le réseau leur fournisse l’énergie nécessaire. Cela signifie toutefois que nous devons disposer d’une capacité de production excessive pour faire face aux pics de la demande d’énergie et à tout problème opérationnel qui pourrait survenir. Grâce à la gestion de la demande, les consommateurs sont informés de l’état du réseau, ce qui leur permet de modifier leur consommation d’électricité afin d’éviter les pics de demande au lieu d’y faire face, tout en disposant d’un outil supplémentaire pour surmonter les problèmes opérationnels.
Après avoir travaillé sur ce sujet pendant des années et avoir cru qu’il pourrait être l’une des solutions à la transition énergétique, j’ai fini par réaliser que je faisais une erreur, car j’essayais d’offrir des solutions technologiques à un problème (la transition énergétique) qui, fondamentalement, n’est pas technologique mais politique. J’en suis donc maintenant au point où j’essaie d’introduire cette question dans ma recherche.
2. Pourquoi pensez-vous que la transition énergétique soulève une question politique plutôt que technologique ?
Au cours de mes recherches, j’ai été confronté à plusieurs reprises à un schéma particulier, selon lequel nous disposons d’une très bonne solution technologique pour la transition énergétique, que nous mettons en œuvre d’une très mauvaise manière sur le plan politique. Le terme « politique » ne se réfère pas exclusivement aux décisions politiques qui nous mènent à la transition, mais plutôt au contexte socio-économique dans lequel ces décisions sont prises, à savoir le capitalisme.
Lorsque nous concevons des solutions pour une transition énergétique propre, nous pouvons avoir plusieurs objectifs en tête: nous pouvons viser la protection de l’environnement, la réduction des inégalités sociales ou la maximisation des profits monétaires. En fin de compte, ce dernier objectif est le seul que nous poursuivons. Toutes nos solutions actuelles sont mises en œuvre en se concentrant sur la maximisation du profit monétaire et cela nous mène dans la mauvaise direction.
Pour s’attaquer réellement à la crise climatique, il faut prendre en compte la question de l’égalité sociale, qui fait aussi officiellement partie du Green Deal européen, à travers la devise « aucune personne et aucun lieu laissés pour compte ». Nous devons également préserver la biodiversité. Une condition importante pour cela est la conservation de l’usage des terres, ce qui est souvent traduit à juste titre par la nécessité de préserver les forêts, mais cela va aussi plus loin. Mon opinion à ce sujet est que nous devrions simplement cesser de considérer l’environnement comme un ensemble de ressources à notre disposition pour en extraire de la valeur.
En effet, considérer l’environnement comme une ressource et donner la priorité à la maximisation du profit sur d’autres objectifs socio-environnementaux nous conduit à mettre en œuvre les énergies renouvelables de manière erronée. Par exemple, les éoliennes, qui sont l’une des meilleures solutions dont nous disposons aujourd’hui, sont construites par des capitaux privés au sommet de montagnes qui étaient, jusqu’à récemment, protégées de l’exploitation humaine. Dans ces conditions, les dommages environnementaux sont inévitables.
En même temps, l’opinion des communautés locales est considérée comme négligeable par rapport au potentiel de création de valeur, de sorte que leurs réactions (c’est-à-dire les protestations contre les projets d’énergies renouvelables) sont accueillies par la répression. C’est un jeu dangereux car il peut créer des connotations négatives dans ces communautés locales, qui finissent par associer ce qui leur arrive à l’existence d’éoliennes et non aux investissements économiques à l’origine de cette répression.
3. Quelles sont les questions techniques les plus importantes soulevées par les énergies renouvelables ?
Le fonctionnement du réseau. C’est le plus gros problème. Nos réseaux électriques sont vastes. Il est extrêmement difficile, en termes de ressources et de coûts, de les modifier. Ils ont été construits pour le système traditionnel: une production centralisée par le biais de grandes centrales électriques avec un flux d’énergie unidirectionnel, c’est-à-dire que l’énergie électrique ne circule que du côté de la demande du réseau. Avec les sources d’énergie renouvelables, nous disposons de nombreux sites de production connectés à la demande du réseau, ce qui permet un flux d’énergie bidirectionnel, c’est-à-dire que l’énergie peut circuler vers ou depuis la demande, en fonction des conditions de production/consommation. Cependant, dans les systèmes électriques traditionnels, le côté demande du réseau n’est construit qu’en fonction de la consommation requise, c’est-à-dire qu’il ne peut supporter qu’un flux limité d’énergie électrique. Si nous voulons qu’il prenne en charge une production d’énergie substantielle, nous devons le moderniser, ce qui a un coût élevé.
Mais ce n’est qu’en partie un problème technologique. En fin de compte, il s’agit d’une décision politique. L’État facilite la réalisation de projets à grande échelle et il n’y a plus de place sur le réseau pour les petits projets menés par les communautés. L’énergie renouvelable est une solution parfaite pour fournir de l’électricité aux territoires locaux. Il ne s’agit pas d’un type d’énergie destiné à parcourir de longues distances, car elle est perdue en chemin, convertie en chaleur. Envoyer de l’énergie photovoltaïque de la Grèce vers les pays du Nord, par exemple, serait inefficace car nous aurions d’importantes pertes d’énergie. Mais c’est aussi socialement inacceptable: par exemple, s’emparer de terres qui pourraient être utilisées pour résoudre les problèmes de l’agriculture locale afin de produire de l’énergie et l’envoyer dans un autre pays, uniquement parce que cela maximisera le profit, et imposer cette solution politiquement, est la mauvaise voie pour la transition.
4. Pensez-vous qu’il existe un lien entre notre organisation politique et le fonctionnement de la production et de la distribution d’énergie?
Les énergies renouvelables pourraient couvrir la majeure partie des besoins énergétiques d’une petite communauté. Cela nécessiterait peut-être plus d’efforts et de ressources pour une ville comme Thessalonique, mais cela pourrait facilement être mis en œuvre pour une communauté plus petite. Cela donnerait une certaine indépendance à ces communautés. La meilleure chose qui puisse arriver, à mon avis, c’est que les gens se rassemblent pour créer une organisation ascendante afin de satisfaire leurs besoins. Cela pourrait commencer à petite échelle, mais je crains que si cela se répand et commence à aller à l’encontre du discours dominant de la maximisation du profit, cela se heurte à la répression.
5. Puisque vous travaillez sur la gestion de la demande, pensez-vous que la consommation individuelle est le problème?
La consommation individuelle n’est jamais le problème. Il s’agit d’un discours commode utilisé pour nous détourner du vrai problème, qui est la consommation d’énergie nécessaire pour soutenir une croissance constante. Tant que nous nous en tiendrons à ce discours, la transition énergétique n’aura pas lieu. Il ne s’agit donc pas vraiment de débattre de la consommation individuelle ou de la répartition de la consommation d’énergie entre les citoyens, l’agriculture et l’industrie, mais plutôt de comprendre qu’il est urgent de changer le cadre socio-économique dominant qui repose sur une croissance perpétuelle.
Ce changement de paradigme se traduirais par un changement de notre comportement collectif en matière de consommation d’énergie, et donc aussi par un changement de notre consommation individuelle. C’est aussi nécessaire. Mais ce processus doit commencer par l’abolition du régime de la croissance constante, d’où découlera ensuite le changement de comportement individuel. Grâce à cela, nous comprendrons enfin, en tant que sociétés, que nous avons besoin de solutions telles que les centrales photovoltaïques, les parcs d’éoliennes et la gestion de la demande, et que le véritable problème a toujours été la manière dont elles étaient mises au service de l’économie de la croissance, garantie par la répression de toutes les personnes qui s’opposent de manière critique à ce discours.